Ernest De Jupiter

Tolkien trente ans après (1973-2003) Christian Bourgeois Editeur, 2004

Recueil de textes, sous la direction de Vincent Ferré.

Comme beaucoup de Français moyens, j’ai découvert Tolkien à travers le Seigneur des Anneaux porté à l’écran par Peter Jackson. En fait, je ne l’ai véritablement apprécié que le jour où l’on m’a fait cadeau du coffret édition prestige, qui m’a permis de voir l’intégralités des films. Dans ma lancée, j’ai alors entrepris de lire l’œuvre, dans la langue originale (en anglais, pas en occidentalien ou elfique…) et j’ai enchaîné sur le Simarillion, qui précède chronologiquement le Hobbit et le Seigneur des anneaux, et permet de mieux comprendre le cadre mythologique et « historique » de l’œuvre.

Cette petite introduction pour préciser que le livre que je veux présenter ici n’est véritablement compréhensible qu’à une personne familiarisée avec l’univers de Tolkien. Toutefois, cela peut aussi donner l’envie de s’y plonger.

Tolkien est un véritable démiurge. Sa magie est d’avoir réussi à créer tout un univers au sens propre, à partir d’éléments tirés de l’histoire culturelle des peuples de la Terre. Le monde créé par Tolkien est merveilleusement complexe. 

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Ce livre se présente comme un état des lieux de la réception francophone de l’œuvre de Tolkien, et en particulier du Seigneur des Anneaux (la première traduction est parue en 1973, c'est-à-dire presque 20 ans après la première parution en anglais en 1954) et un aperçu de la recherche universitaire sur le sujet.

Vincent Ferré a réuni des textes de valeur inégale à mon goût, certains passionnants, d’autres plus abscons, mais qui permettent de modifier notre appréhension du texte et ouvrent de nouveaux horizons de lecture.

On découvre la richesse des références de Tolkien, qui a créé une œuvre à la fois païenne et chrétienne.  Païenne dans le sens où Tolkien a fortement puisé son inspiration dans un réseau de légendes essentiellement nordiques : Beowulf, les sagas islandaises, la littérature arthurienne. Les références sont multiples : œil d’Odin, épées plantées dans des troncs, épées brisées etc.

Tolkien a également souhaité opérer une synthèse avec la culture chrétienne dans laquelle il est né et qu’il chérissait. Les références bibliques sont donc également innombrables, le fond manichéen de l’histoire n’a rien de nordique mais découle directement du christianisme et plusieurs personnages, notamment Gandalf, ont des caractéristiques christiques. L’analyse de Paul Airiau de la « chute de Gandalf dans la Moria » est très intéressante sur ce point.

Verlyn Flieger élabore également une analyse sur  les différentes figures du héros dans l’œuvre : Aragorn comme héros traditionnel qui sort de l’ombre pour devenir roi légitime, puissant, guérisseur, amoureux, Frodo comme le petit auquel échoit une tâche trop lourde pour lui et auquel le lecteur peut plus facilement s’identifier.

Laurent Alibert se penche sur « l’influence indo-européenne en Arda »,  et le problème de la « terre gaste » et du « roi méhaignié » que l’on retrouve dans le Seigneur des Anneaux : le Gondor dépérit en l’absence de son roi légitime.

L’étude du tournoi d’énignes entre Bilbo et Gollum dans « Bilbo le Hobbit » par Jean-Philippe Qadri, montre que Tolkien a su puiser son inspiration de textes et légendes aussi variés que Salomon et la Reine de Saba, le dialogue entre Cuchulainn et Emer ou encore les "énigmes de Gestumblindi" mettant en scènes Odin, ou bien des élucidaires médiévaux irlandais et anglais.

D’autres comme Fabienne Claire Caland ou Tom Shippey réfléchissent sur les représentations du mal chez Tolkien: comment il s'est répandu et a contaminé toute la création, quelles sont ses créatures…

Thomas Honegger s’intéresse aux langues, réelles et imaginaires et les problèmes de traduction qu’elles posent…un plutôt difficile à suivre pour les non initiés.

Un autre article intéressant, surtout par ce qu’il révèle en négatif : « Tolkien et le racisme »…l’auteur se fait un devoir de prouver que Tolkien n’est pas raciste, contrairement aux accusations qui ont fusé leur de la parutions des œuvres  et du film. Raciste, il devait l'être, car il associait la méchanceté à la laideur (les orques). L’anéantissement des orques à la fin aurait même été assimilée par certains à un génocide. Pathétique. Ne sont ils pas capable de comprendre une métaphore, une symbolique du Mal ? Ces critiques sont tellement  affligeantes qu’elles ne devraient même pas donner lieu à une réfutation.

Hervé Aubron, quant à lui, s’intéresse plutôt à  la question des couleurs chez Tolkien et à leur adaptation à l’écran par Peter Jackson. Il fait une remarque très intéressante : l’omniprésence du gris dans l’œuvre de Tolkien (Gandalf le Gris, les Havre Gris, Grispoil, le gris de l’ombre de Sauron, les manteaux gris des Elfes, la peau grise de Gollum etc.) Ce gris est somme de toutes les couleurs, n’est pas positif ou négatif en soi, il est totalité d’un monde toujours à la limite de la lumière et prêt de basculer dans les ténèbres.

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Les universitaires ne sont pas toujours de bons écrivains. Ils ont trop souvent tendance à tomber dans l’abstraction, à faire référence à des textes et classifications réservés à des milieux universitaires très fermés, qui n’apportent pas forcément beaucoup à l’analyse. Toutefois, il est possible de faire son tri et de trouver  son bonheur dans cette masse d’informations inégales.

On réalise la complexité de l'oeuvre de Tolkien quand on s'apperçoit que même des philologues se sont penchés sur les langues qu’il avait créées, notamment l’elfique… ce qui, si on y pense est absolument incroyable et surréaliste.

Le Simarillion à lui seul pourrait faire l’objet d’un livre entier, tant les références aux différentes mythologies sont nombreuses.

La mission affichée de Tolkien n’était-elle pas de créer pour l’Angleterre la mythologie qui lui manquait, missions folle mais au combien passionnante. 

Ernest de Jupiter